Chronique #1 : Sortir des clous quand on est prêtre

Dans cette première chronique, j’ai décidé de vous parler d’un prêtre qui s’engage à dépathologiser l’homosexualité, ou plutôt à la sortir du péché : je me suis dit que ça valait le détour.

En août 2020, le père Matthieu Jasseron, 36 ans, entré au séminaire en 2013 pour devenir prêtre, s’inscrit sur Tik Tok pour y déposer régulièrement des vidéos sur des versets de la Bible ou à propos de divers sujets, le tout sur un ton humoristique « démystifiant » (houla !) le quotidien de la vie cléricale. Or, le 23 août, polémique : répondant à la question d’un internaute : « Est-ce qu’en étant gay nous sommes toujours chrétiens ? »,notre jeune et non moins brave père Matthieu répond que nulle part il n’est écrit dans le Bible que l’homosexualité est un péché. La vidéo est vue un million de fois, notre homme reçoit l’ire cléricale, sur Twitter, sur Youtube, où certains se missionnent (pardon pour ce recours un peu lourd au riche vocable chrétien) pour lui répondre dûment, parce qu’ils connaissent tous évidemment beaucoup mieux que lui le message biblique (en toute humilité, bien sûr).

Pour la Conférence des évêques de France, « ces vidéos […] dénaturent le message biblique » (https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/09/10/est-ce-qu-etre-homosexuel-c-est-peche-non-sur-tiktok-l-evangile-selon-perematthieu_6094212_4500055.html). L’abbé Matthieu Raffray sur Twitter : « [C’est] une doctrine absolument contraire à tout le Magistère catholique ! ». « Coup de buzz », selon le magazine Famille Chrétienne. Le frère Paul Adrien, lui, fait toute une vidéo sur la question (https://www.youtube.com/watch?v=f_Ksr31YUHo), titrée « J’ai mal à mon Tik Tok père Matthieu !!! », qui mérite absolument qu’on s’y attarde pour au moins un (long) paragraphe.

Notre tout aussi jeune et frais frère Paul Adrien maîtrise parfaitement les techniques de communication, surtout non-verbales, puisqu’il en use jusqu’à plus soif, on sent que tout ça est bien huilé (mais c’est toujours bien de bien faire son travail). Selon lui, les vidéos du père Matthieu « sont gravement maladroites » et il cherche, par son humble vidéo, à « rétablir la paix dans [sa] petite communauté », parce qu’on son objectif est surtout de ne pas créer de polémique (il suffit manifestement de le préciser avec bonne volonté et beaucoup de communication non-verbale très huilée pour l’éviter). Paul Adrien enjoint père Matthieu d’enlever ses vidéos, tandis que lui va tenter, en quelques humbles minutes, de nous aider à mieux voir ce que dit l’Église à propos de l’homosexualité. Parce que notre bon frère Paul, lui, il sait. Le Vrai Message de l’Église, à lui, ne lui échappe pas. Sûrement parce qu’il est spécialement humble. Bref. Que nous apprend-il ? Qu’il faut bien faire la distinction entre « attirance » homosexuelle, qui en soi n’est pas un péché, et « pratique » homosexuelle, « qui pour le coup est un péché hein, un péché grave. Bon. Et entre les deux, hein, c’est complexe. […] Justement, entre les deux il y a tout un espace pour la bienveillance, l’écoute, le dialogue. » Le dialogue et l’écoute, à condition de parler la même langue (il n’a pas précisé parce que ça va de soi). Il prend le temps de nous décrypter la vidéo de notre père Matthieu, de nous rappeler le Vrai de Vrai contenu du Lévitique avec l’interprétation Vraie du Catéchisme de la Vraie Église Catholique : « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés […], contraires à la loi naturelle […] ». Frère Paul Adrien admet que ce vocabulaire est un peu vieillot. Mais au moins, les choses sont dites avec clarté (et Véracité). Il nous offre une petite synthèse : « L’homosexualité est une épreuve que les personnes n’ont pas choisie », en vertu de quoi, elles « doivent être accueillies avec respect, compassion et délicatesse » (un peu comme des malades graves auxquels ont voudrait faire en sorte de ne pas faire sentir qu’on sait qu’ils sont gravement malades, non ?). Son objectif : « Faire grandir la personne, lui faire découvrir l’amour de Dieu. » Il ajoute : « Il devrait y avoir normalement moyen d’utiliser cette attirance que vous avez pour la cultiver dans le sens de l’amitié. Et ce qu’on dit classiquement c’est que l’amitié, c’est ce qui nous rapproche le plus de l’amour qu’il y a en Dieu, la source ultime du bonheur et de l’épanouissement. Mais des amitiés chastes et qui vous rendent heureux » (apparition pendant qu’il parle : images de deux femmes côte à côte, qui rient, des serviettes en chignons sur la tête (elles sortent ensemble de la douche ? Ah, les coquines !) avec le message : « L’amitié passionnée : une mystique divine »). Être chrétien et gay : là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et chasteté (pardon, Baudelaire).

Cette histoire me rappelle cette série de David Elkaïm et Vincent Poymiro, « Ainsi soient-ils », où l’on suit le parcours de jeunes séminaristes qui apprennent à devenir prêtres, avec une intéressante histoire d’amour gay entre deux séminaristes et avec ce prêtre, directeur du séminaire hors des clous qui en prend plein la gueule… Bon, tout ça pour dire : père Matthieu, ne fléchissez pas, on est avec vous (entre pécheurs, comme dirait frère Paul Adrien, mais je vais peut-être arrêter de le charrier). D’ailleurs certains croient en lui, tel que son supérieur, monseigneur Hervé Giraud, selon lequel : « Il a du charisme, c’est un beau gosse, il crève l’écran » (héhé ! Affaire à suivre).

Anna-Livia Marchionni.

Chronique rédigée à l’origine pour l’association Couleurs Gaies de Metz

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